TRAVAIL
D’ANALYSE : ORANGE MÉCANIQUE (film)
Par
Gabrielle Gareau
Travail présenté à monsieur Marc-André
Lebeau
Démarche d’intégration en sciences
humaines, cours 300-301-RE, groupe 8
Cégep de Saint-Laurent, le 7
février 2014
Depuis sa parution, «A Clockwork
Orange», ou «Orange mécanique» en français, a fait beaucoup parlé. Que ce soit
le roman de Anthony Burgess, publié en 1962, ou l’adaptation cinématographique
de 1971, l’histoire de l’anti-héros Alex De Large continue de susciter
plusieurs interrogations quant aux dilemmes moraux qu’elle pose. Dans ce texte
seront abordés les aspects psychologiques et historiques de l’œuvre
cinématographique de Stanley Kubrick.
D’abord, voyons le contexte
historique du film et comment son arrivée sur les grands écrans du Royaume-Uni
a réussi a choqué le monde entier. En 1962, lorsque le livre est écrit, nous
sommes en pleine Guerre froide. Les horreurs des deux guerres antécédentes
hantent ceux qui les ont vécues, et la menace de l’arme nucléaire empêche les deux
blocs de bouger. La chasse aux sorcières, menée par le sénateur McCarthy aux
États-Unis au début des années 1950, sème une atmosphère de terreur où tous
sont méfiants de leurs voisins. Les tensions ont atteint le plus haut point
avec la construction du mur de Berlin, l’intervention des américains au Vietnam
et le débarquement de la Baie des Cochons. (1961-1962) C’est lors d’une visite
à Leningrad que l’auteur trouve son inspiration pour le roman. En observant le
régime totalitaire de l’URSS, la répression touchant toutes les sphères de la
société, Burgess en vient à créer la société futuriste dystopique de son roman.
La menace communiste était très actuelle durant les quelques années précédent
l’écriture : tous les pays du bloc de l’ouest craignaient son expansion. Ce
type de système où la responsabilité morale est entièrement accordée à l’État choque
spécialement l’auteur, puisque le choix d’agir selon un code moral est retiré
complètement des individus.[1]
L’État possède la conscience morale pour tout le peuple et gère ce qui est bien
ou mal, jusque dans les interactions entre ces individus. On peut donc voir l’œuvre
de Burgess comme une critique de ce système totalitaire si différent de celui
du Royaume-Uni et qui menace d’envahir le monde. Prenons comme exemple la scène
où la réussite de l’expérience est montrée au public. Alex est exposé comme un
animal, sous les projecteurs, à un public gardé dans l’ombre, qui observe la
scène et applaudit au moment approprié. Le ministre de l’intérieur, qui est
très fier de présenter la grande réussite de la technique Ludovico, montre à
son public cette réforme rapide de l’atroce criminel et ce que cette invention
veut dire pour la nation : les criminels n’auront plus le choix que de
bien agir! Cette scène, et la représentation du gouvernement dans les
personnages, démontre la peur, l’incompréhension et même le dégout que ressent
l’auteur face à ce régime où la liberté de penser et d’agir ne semble exister.
Justement, cette liberté d’agir
moralement ou non est exactement le débat qui oppose les théories éthiques
kantiennes et utilitaristes. Immanuel Kant, philosophe bien connu du 18ème
siècle, avance que les individus d’une société doivent trouver la moralité dans
l’universalisation des maximes : il faut agir en fonction que les lois
morales que l’on s’impose peuvent être appliquées à tous les membres d’une
société. [2]
Il faudrait traiter la morale et l’éthique avec rationalité, et non en se
soumettant aux émotions. La moralité d’une action serait déterminée par les
intentions qui la motivent. Peu importe si l’action semble être morale, si les
intentions qui sont derrière sont mauvaises, par exemple aider une personne
pour impressionner quelqu’un ou avoir une récompense, alors l’action n’est pas
moralement bonne.
John Stuart Mill, qui vécu au 19ème
siècle, défend la thèse qui s’oppose complètement au déontologisme
kantien : l’utilitarisme. En mettant de l’avant l’idée que «la fin
justifie les moyens»[3],
les penseurs de cette éthique veulent dire que c’est la conséquence de l’acte
qui détermine sa moralité. En effet, peu importe les raisons qui ont poussé à
agir, si le résultat permet le bonheur de la majorité, alors c’est une bonne
action. Dans une philosophie hédoniste comme celle-ci, on calcule le bonheur
par la quantité de plaisir et on recherche à maximiser celui-ci pour l’ensemble
des individus. Donc, contrairement à Kant où le calcul se fait de manière
entièrement rationnel a priori, les
utilitaristes font plutôt un mélange de la raison et des passions pour juger de
la moralité a posteriori.[4]
Alors que la technique Ludovico utilisée pour guérir Alex est présentée comme
un miracle qui sauvera cette société abondante de criminels, elle pose aussi un
immense dilemme moral : celui de la liberté de choix. Pour Mill, il n’y
aurait pas de problème avec cette technique, puisque sacrifier le bonheur de
quelques individus (et des criminels en plus) pour celui du plus grand nombre
est tout à fait moralement acceptable. En effet, si les conséquences de cette
approche (réduire la criminalité) sont positives, alors Mill encouragerait
cette action. Kant, au contraire, aurait plusieurs importantes critiques.
D’abord, il faut juger des intentions : Alex a quand même envie d’être
violent, mais une force physique l’en empêche, ce qui veut dire que l’action
est immorale aux yeux de Kant. Puis, il faut aussi spécifier une autre maxime
importante de l’éthique déontologique : ne jamais utiliser les autres
comme moyen, mais bien comme fin.[5]
C’est-à-dire que «sacrifier» les criminels, leur liberté et leur bonheur afin
de «réparer» la société signifie les utiliser comme moyen pour atteindre un but
extérieur. Bref, Burgess fait de son histoire une critique profonde de la
société utilitariste dont il fait partie. Il rend floues les frontières du bien
et du mal en jouant avec les émotions du spectateur et permet une réflexion
approfondie sur l’éthique et la morale.
Pour terminer, parlons d’Alex DeLarge,
qui est l’exemple idéal de la théorie psychologique de l’apprentissage
conditionnel mise de l’avant par l’école béhavioriste. Le fondateur de cette
école de pensée est B. F. Skinner, un américain, qui pensait que toutes les
actions posées par un être humain ne sont que réflexion de son conditionnement.
En s’opposant aux penseurs de l’école cognitive, les béhavioristes supposent
que toute l’essence d’une personne : ses gouts, habitudes, intérêts,
comportements, opinions et même sa gestuelle, n’est qu’assemblage de choses
apprises. L’humain, telle une éponge, absorbe tout de son environnement, et
tout ce qui la définit peut donc se désapprendre. Comme le comportement de
l’individu est appris, il doit être entretenu à l’aide d’un processus de
punition/récompense. Ceci s’appelle le conditionnement «opérant» ou
«instrumental»[6].
Skinner, et les autres penseurs de son école, expliquent que par ce processus,
les individus apprennent ce qui est bien ou non à répéter, par rapport à la
conséquence ou à la punition qu’ils reçoivent, et ceci guidera leurs actions
futures. L’anti-héros vit plutôt un conditionnement qu’on appelle
« classique » lorsqu’il subit l’expérience. Ce type de
conditionnement s’est fait connaitre grâce à l’expérience des chiens de Pavlov[7].
L’homme sonnait une cloche à chaque fois qu’il sortait de la nourriture pour le
chien. Celui-ci salivait en anticipant son repas, et donc, après plusieurs répétitions,
le chien se mettait à saliver sans même que Pavlov montre de nourriture.
L’équipe de docteurs ont exercé cette même expérience sur Alex : on lui
montrait des films rempli d’images violences et vulgaires. Au début, Alex s’y
plait. Mais bien vite, les médicaments
font effet et il se sent très mal, il a toujours envie de vomir. Après chaque
séance, cette association entre le stimulus «violence» et la réaction «être
malade» est renforcie. Après seulement quelques semaines, Alex n’est plus
capable de différencier le stimulus de sa réaction apprise. Même s’il veut se
défendre ou toucher une femme nue, à chaque fois, une nausée intense l’en
empêche. Cet apprentissage n’est que perdu lorsque Alex se brise tous les os du
corps en se lançant du haut d’une maison où il est enfermé. On peut comprendre
que l’association faite dans son cerveau était plus forte que sa propre
volonté. Ceci ajoute à la question de liberté de choix mentionné plus haut.
Le chef-d’œuvre de Burgess et celui
de Kubrick ont su choquer, étonner, ébranler et faire parler le public de
plusieurs générations. Encore aujourd’hui, près d’un demi-siècle plus tard,
«Clockwork Orange» reste pertinent puisqu’il pose des questions qui ne se
démoderont jamais : celles de la liberté, de la morale et de la justice.
[1]ÉDITEURS SPARKNOTES. Sparknote on A Clockwork Orange, SparkNotes.com,
(En Ligne), http://www.sparknotes.com/lit/clockworkorange/context.html (page consultée le 6 février
2014)
[2] JOHNSON. Robert, Kant's Moral Philosophy, The
Stanford Encyclopedia of Philosophy (Édition Hiver 2013), Edward N.
Zalta (ed.), (En Ligne), http://plato.stanford.edu/archives/win2013/entries/kant-moral/,
page consultée le 6 février 2014
[3] GENINET, Hortense. La
philosophie utilitariste, (En Ligne),
http://utilitarianphilosophy.com/definition.fr.html, page consultée le 4 février
2014
[6] PSYCHOLOGIES.COM. Conditionnement opérant. (En Ligne), http://www.psychologies.com/Dico-Psycho/Conditionnement-operant (page
consultée le 6 février 2014)
[7] LA PSYCHOLOGIE. Conditionnement répondant,
(En Ligne), http://lapsychologie.weebly.com/conditionnement-reacutepondant.html (page consultée le 6 février
2014)