vendredi 28 février 2014

«A Clockwork Orange» - travail d'analyse


TRAVAIL D’ANALYSE : ORANGE MÉCANIQUE (film)
Par Gabrielle Gareau  
Travail présenté à monsieur Marc-André Lebeau
Démarche d’intégration en sciences humaines, cours 300-301-RE, groupe 8
Cégep de Saint-Laurent, le 7 février 2014

            Depuis sa parution, «A Clockwork Orange», ou «Orange mécanique» en français, a fait beaucoup parlé. Que ce soit le roman de Anthony Burgess, publié en 1962, ou l’adaptation cinématographique de 1971, l’histoire de l’anti-héros Alex De Large continue de susciter plusieurs interrogations quant aux dilemmes moraux qu’elle pose. Dans ce texte seront abordés les aspects psychologiques et historiques de l’œuvre cinématographique de Stanley Kubrick.

            D’abord, voyons le contexte historique du film et comment son arrivée sur les grands écrans du Royaume-Uni a réussi a choqué le monde entier. En 1962, lorsque le livre est écrit, nous sommes en pleine Guerre froide. Les horreurs des deux guerres antécédentes hantent ceux qui les ont vécues, et la menace de l’arme nucléaire empêche les deux blocs de bouger. La chasse aux sorcières, menée par le sénateur McCarthy aux États-Unis au début des années 1950, sème une atmosphère de terreur où tous sont méfiants de leurs voisins. Les tensions ont atteint le plus haut point avec la construction du mur de Berlin, l’intervention des américains au Vietnam et le débarquement de la Baie des Cochons. (1961-1962) C’est lors d’une visite à Leningrad que l’auteur trouve son inspiration pour le roman. En observant le régime totalitaire de l’URSS, la répression touchant toutes les sphères de la société, Burgess en vient à créer la société futuriste dystopique de son roman. La menace communiste était très actuelle durant les quelques années précédent l’écriture : tous les pays du bloc de l’ouest craignaient son expansion. Ce type de système où la responsabilité morale est entièrement accordée à l’État choque spécialement l’auteur, puisque le choix d’agir selon un code moral est retiré complètement des individus.[1] L’État possède la conscience morale pour tout le peuple et gère ce qui est bien ou mal, jusque dans les interactions entre ces individus. On peut donc voir l’œuvre de Burgess comme une critique de ce système totalitaire si différent de celui du Royaume-Uni et qui menace d’envahir le monde. Prenons comme exemple la scène où la réussite de l’expérience est montrée au public. Alex est exposé comme un animal, sous les projecteurs, à un public gardé dans l’ombre, qui observe la scène et applaudit au moment approprié. Le ministre de l’intérieur, qui est très fier de présenter la grande réussite de la technique Ludovico, montre à son public cette réforme rapide de l’atroce criminel et ce que cette invention veut dire pour la nation : les criminels n’auront plus le choix que de bien agir! Cette scène, et la représentation du gouvernement dans les personnages, démontre la peur, l’incompréhension et même le dégout que ressent l’auteur face à ce régime où la liberté de penser et d’agir ne semble exister.

            Justement, cette liberté d’agir moralement ou non est exactement le débat qui oppose les théories éthiques kantiennes et utilitaristes. Immanuel Kant, philosophe bien connu du 18ème siècle, avance que les individus d’une société doivent trouver la moralité dans l’universalisation des maximes : il faut agir en fonction que les lois morales que l’on s’impose peuvent être appliquées à tous les membres d’une société. [2] Il faudrait traiter la morale et l’éthique avec rationalité, et non en se soumettant aux émotions. La moralité d’une action serait déterminée par les intentions qui la motivent. Peu importe si l’action semble être morale, si les intentions qui sont derrière sont mauvaises, par exemple aider une personne pour impressionner quelqu’un ou avoir une récompense, alors l’action n’est pas moralement bonne.
            John Stuart Mill, qui vécu au 19ème siècle, défend la thèse qui s’oppose complètement au déontologisme kantien : l’utilitarisme. En mettant de l’avant l’idée que «la fin justifie les moyens»[3], les penseurs de cette éthique veulent dire que c’est la conséquence de l’acte qui détermine sa moralité. En effet, peu importe les raisons qui ont poussé à agir, si le résultat permet le bonheur de la majorité, alors c’est une bonne action. Dans une philosophie hédoniste comme celle-ci, on calcule le bonheur par la quantité de plaisir et on recherche à maximiser celui-ci pour l’ensemble des individus. Donc, contrairement à Kant où le calcul se fait de manière entièrement rationnel a priori, les utilitaristes font plutôt un mélange de la raison et des passions pour juger de la moralité a posteriori.[4] Alors que la technique Ludovico utilisée pour guérir Alex est présentée comme un miracle qui sauvera cette société abondante de criminels, elle pose aussi un immense dilemme moral : celui de la liberté de choix. Pour Mill, il n’y aurait pas de problème avec cette technique, puisque sacrifier le bonheur de quelques individus (et des criminels en plus) pour celui du plus grand nombre est tout à fait moralement acceptable. En effet, si les conséquences de cette approche (réduire la criminalité) sont positives, alors Mill encouragerait cette action. Kant, au contraire, aurait plusieurs importantes critiques. D’abord, il faut juger des intentions : Alex a quand même envie d’être violent, mais une force physique l’en empêche, ce qui veut dire que l’action est immorale aux yeux de Kant. Puis, il faut aussi spécifier une autre maxime importante de l’éthique déontologique : ne jamais utiliser les autres comme moyen, mais bien comme fin.[5] C’est-à-dire que «sacrifier» les criminels, leur liberté et leur bonheur afin de «réparer» la société signifie les utiliser comme moyen pour atteindre un but extérieur. Bref, Burgess fait de son histoire une critique profonde de la société utilitariste dont il fait partie. Il rend floues les frontières du bien et du mal en jouant avec les émotions du spectateur et permet une réflexion approfondie sur l’éthique et la morale.

            Pour terminer, parlons d’Alex DeLarge, qui est l’exemple idéal de la théorie psychologique de l’apprentissage conditionnel mise de l’avant par l’école béhavioriste. Le fondateur de cette école de pensée est B. F. Skinner, un américain, qui pensait que toutes les actions posées par un être humain ne sont que réflexion de son conditionnement. En s’opposant aux penseurs de l’école cognitive, les béhavioristes supposent que toute l’essence d’une personne : ses gouts, habitudes, intérêts, comportements, opinions et même sa gestuelle, n’est qu’assemblage de choses apprises. L’humain, telle une éponge, absorbe tout de son environnement, et tout ce qui la définit peut donc se désapprendre. Comme le comportement de l’individu est appris, il doit être entretenu à l’aide d’un processus de punition/récompense. Ceci s’appelle le conditionnement «opérant» ou «instrumental»[6]. Skinner, et les autres penseurs de son école, expliquent que par ce processus, les individus apprennent ce qui est bien ou non à répéter, par rapport à la conséquence ou à la punition qu’ils reçoivent, et ceci guidera leurs actions futures. L’anti-héros vit plutôt un conditionnement qu’on appelle « classique » lorsqu’il subit l’expérience. Ce type de conditionnement s’est fait connaitre grâce à l’expérience des chiens de Pavlov[7]. L’homme sonnait une cloche à chaque fois qu’il sortait de la nourriture pour le chien. Celui-ci salivait en anticipant son repas, et donc, après plusieurs répétitions, le chien se mettait à saliver sans même que Pavlov montre de nourriture. L’équipe de docteurs ont exercé cette même expérience sur Alex : on lui montrait des films rempli d’images violences et vulgaires. Au début, Alex s’y plait. Mais bien vite,  les médicaments font effet et il se sent très mal, il a toujours envie de vomir. Après chaque séance, cette association entre le stimulus «violence» et la réaction «être malade» est renforcie. Après seulement quelques semaines, Alex n’est plus capable de différencier le stimulus de sa réaction apprise. Même s’il veut se défendre ou toucher une femme nue, à chaque fois, une nausée intense l’en empêche. Cet apprentissage n’est que perdu lorsque Alex se brise tous les os du corps en se lançant du haut d’une maison où il est enfermé. On peut comprendre que l’association faite dans son cerveau était plus forte que sa propre volonté. Ceci ajoute à la question de liberté de choix mentionné plus haut.              
            Le chef-d’œuvre de Burgess et celui de Kubrick ont su choquer, étonner, ébranler et faire parler le public de plusieurs générations. Encore aujourd’hui, près d’un demi-siècle plus tard, «Clockwork Orange» reste pertinent puisqu’il pose des questions qui ne se démoderont jamais : celles de la liberté, de la morale et de la justice.


[1]ÉDITEURS SPARKNOTES. Sparknote on A Clockwork Orange, SparkNotes.com, (En Ligne),  http://www.sparknotes.com/lit/clockworkorange/context.html (page consultée le 6 février 2014)
[2] JOHNSON. Robert, Kant's Moral Philosophy, The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Édition Hiver 2013), Edward N. Zalta (ed.), (En Ligne), http://plato.stanford.edu/archives/win2013/entries/kant-moral/, page consultée le 6 février 2014
[3] GENINET, Hortense.  La philosophie utilitariste, (En Ligne),  http://utilitarianphilosophy.com/definition.fr.html, page consultée le 4 février 2014
[4] Notes de cours Éthique et politique avec Gabriel Malenfant (session hiver 2013)
[5] Idem
[6] PSYCHOLOGIES.COM. Conditionnement opérant. (En Ligne), http://www.psychologies.com/Dico-Psycho/Conditionnement-operant (page consultée le 6 février 2014)
[7]  LA PSYCHOLOGIE. Conditionnement répondant, (En Ligne), http://lapsychologie.weebly.com/conditionnement-reacutepondant.html (page consultée le 6 février 2014)