vendredi 20 novembre 2015

Les déesses dans la sexualité en Grèce ancienne : les cas d'Hera et d'Aphrodite

Les récits des Dieux de l’Olympe influencent et guident les citoyens de la Grèce antique durant toute leur vie. Les aventures des personnages légendaires servent de modèle, de leçon pour comprendre le code éthique et moral de la vie citoyenne. Dans les sociétés archaïques, les mythes, transmis par la tradition orale, servent à expliquer la création du monde, les phénomènes naturels et l’existence de l’humain, sa relation avec tout ce qui est divin, ainsi que sa raison d’être. Ces légendes, où figurent des personnages attachants, aident les habitants à comprendre le monde qui les entoure. Dans la société grecque archaïque, les femmes ont comme principale fonction de donner une famille à leur mari. Elles se tournent particulièrement vers ces déesses fortes et admirables comme modèle et inspiration. Héra, femme de Zeus et reine d’Olympe est la déesse du mariage, de l’union, de la fidélité, de la fertilité et de la légitimité. Elle sert de guide principale à toute femme grecque dans sa vie de famille. À l’autre bout du spectre de la sexualité, on retrouve Aphrodite, déesse de l’amour, de la beauté et des passions charnelles. Représentant plutôt la fécondité et la richesse corporelle de la femme, elle est admirée pour sa beauté. Ces deux déesses incarnent les deux pôles de la sexualité dans la pensée grecque, quels sont leurs symboles et comment représentent-elles chacune une différente sexualité?

1. Le cas d’Héra
1.1. Origine et naissance
            Héra, reine de tous les Olympiens. Son nom fait possiblement référence à la forme féminine de hero, ou a hora, qui signifie saison. Effrayante et grandiose, elle règne sur le monde mythique. Elle est née de l’union de Rhéa et Kronos, dans le monde des Titans. Kronos est brutal avec ses enfants, comme son père Ouranos l’a été avec lui. Kronos appris de ses parents Ouranos et Gaïa qu’un de ses enfants essayerait de le détrôner, comme il avait fait lui-même à son père en l’émasculant. Il avale donc tous ses enfants, dont Héra. Zeus est le seul qui y échappe, car sa mère Rhéa donne plutôt un caillou emballé dans des langes à Kronos, qui l’avale aussitôt. Zeus est donc élevé à part et finit par marier Héra lorsqu’il détrône enfin son père, en le faisant recracher tous ses frères et sœurs. Zeus tentera de la séduire, mais ne réussira pas tout de suite. C’est en prenant la forme d’un oiseau, le coucou, qu’il réussit à avoir son attention et sa pitié. Lorsqu’elle prend le petit oiseau pour le réchauffer dans sa poitrine, Zeus reprend sa vraie forme et la séduit jusqu’à ce qu’elle accepte de le marier.[1] C’est lorsqu’Hera est séduite, qu’elle prend le rôle de la femme de Zeus, qu’elle devient partie intégrante du panthéon grec.

1.2. Signification et symboles
Héra, ou Junon chez les Romains, tient un rôle exceptionnel chez les déesses grecques car elle est la seule à tenir un rôle égal à son partenaire. Pour le grand dieu Zeus, il fallait une épouse digne de lui, et c’est exactement ce qu’est Héra. Elle est représentée comme sévère, élégante et majestueuse.[2] L’aînée de son mari, elle est forte, passionnée, entêtée et représente la folie mystérieuse et enivrante des femmes. C’est elle qui a menée la tentative de défaire Zeus de son titre. La déesse, avec tous les autres Olympiens, décident d’attacher Zeus lorsqu’il dort, pour l’humilier. Lorsque Briareus, un aide de Zeus, le détache, ce dernier punit Hera en l’attachant par les membres.[3]
Certains spécialistes croient qu’Hera était à l’origine du clan matriarcal, avant que les récits des mythes soient grandement modernisés et changés pour mieux s’intégrer au changement sociétal. Hera aurait alors été l’égal de Zeus, qui était le chef du clan patriarcal.[4] Elle est maintenant reconnue comme la déesse du mariage et de la progéniture légitime. Troisième et principale femme de Zeus, elle eu trois enfants avec lui : Arès, Hébé et Ilithye. Elle est, dans le panthéon grec, celle qui représente l’union et la fidélité. Pourtant, elle est plutôt connue pour ses excès de rage incroyables. Incapable d’accepter l’infidélité de Zeus, elle punit les amantes et les enfants de ses relations avec les autres femmes, autant déesses qu’humaines. La reine d’Olympe déteste particulièrement Héraclès, fils de Zeus et Alcmène. Lorsqu’elle place deux serpents dans son berceau, le jeune les prend chacun dans une main, et sans le savoir, se moque pratiquement des tours que lui envoie sa belle-mère. Zeus punit sa femme à multiples reprises, et tente toujours d’arrêter ces plans diaboliques, sans arrêter toutefois les comportements infidèles qui poussent sa femme à se venger. La jalousie d’Hera ne s’arrête pas aux enfants hors-mariage de Zeus. Elle condamne aussi Paris de Troie, qui déclare Aphrodite la plus belle déesse[5].
Héra représente aussi la fécondité. Comme l’étymologie de son nom le suppose peut-être; hora signifiant saison. Le changement des saisons apportant la moisson, le fruit, le nouveau, Héra apporte la naissance, la croissance. Pour prouver son indépendance et sa puissance, elle enfanta Héphaitos seule, sans Zeus.
Dans la plupart des œuvres et textes, Hera est représentée très riche et bien vêtue. Elle est souvent représentée dans l’art avec un vêtement qui la couvre complètement, s’habillant avec élégance et féminité, mais sans exotisme. Elle est très souvent accompagnée d’un paon.[6] Hera commande à son serviteur Argos, un monstre à cent yeux, de surveiller une des conquètes de Zeus. Celui-ci, ayant connaissance des plans de sa femme, fait tuer le serviteur. Hera fait donc placer les cent yeux sur la queue d’un paon en l’honneur de son fidèle serviteur.[7] Autour d’elle, on retrouve aussi souvent un coucou, un rappel à Zeus ou une grenade, symbole du mariage et de la fidélité.

2. Le cas d’Aphrodite
2.1. Origine et naissance
Selon l’Iliade, Aphrodite serait la fille de Zeus et Dione. Pourtant, la version la plus répétée et connue de sa naissance, serait celle où elle émerge de la mousse de la mer. C’est Hésiode qui raconte que lorsque Ouranos, le dieu des cieux, s’étend sur Gaïa, Kronos arrive et émascule son père. Il jette le membre dans la mer et c’est de cet acte que la mousse apparait, et d’où Aphrodite jaillit. Certaines théories supposent que le mythe fût, encore une fois, modifié lorsque la société grecque devient patriarcale.[8] Au départ, Aphrodite était-elle simplement née de la mer, de cette mère protectrice, douce, berçante et enveloppante? Elle émerge de l’eau d’abord à Cythère, puis sur l’île de Chypre, dont elle sera la représentante. Là où elle marche, des fleurs et de la verdure poussent. Elle est donnée en mariage à Hephaestus, qu’elle n’aimera jamais. Ce dernier découvre sa femme au lit avec Arès, dieu de la guerre. Les amoureux seront victimes de son piège et seront jugés devant les dieux. Aphrodite, assimilée à Vénus chez les Romains, enfante 3 enfants avec Arès: Phobus, Deimus et Harmonia. Autant victime que profiteuse de son incroyable beauté, elle ne peut s’empêcher de séduire et d’être séduite. Elle aura des enfants de plusieurs dieux différents, dont Hermès, Poseïdon, Dyonisos, et même un mortel, Achise. Elle a aussi donné naissance à Éros, connu aussi comme Cupidon, qui l’accompagne souvent.
2.2. Signification et symboles
            Une des déesses les plus connues du panthéon grecs, et faisant partie des douze divinités de l’Olympe, Aphrodite est surtout reconnue pour sa beauté et sa sensualité faisant bien des jaloux dans le monde des dieux. Déesse de l’amour, du plaisir, de la sexualité et de la jeunesse éternelle, elle joue un grand rôle dans la représentation de la femme. Elle est enviée des dieux comme des mortels, et même des bêtes. La déesse sait charmer tout ce qui l’entoure, et rien ni personne ne peut y résister, même pas Zeus.
Son tempérament est aussi bien connu que celui d’Héra. Même si elle est considérée la plus belle, lorsqu’un dieu ou un mortel refuse de se prosterner devant elle, elle ne peut l’accepter. Sa vengeance est terrible. Elle condamne ses ennemis à des amours impossibles et déplacés, les rend peu attirants et elle ruine des relations amoureuses.   
Elle est bien connue pour avoir été une des instigatrices de la guerre de Troie. Lorsqu’Éris, déesse de la discorde, n’est pas invitée au mariage du roi Pélée et de la nymphe Thétis, elle lance une pomme avec l’inscription : «À la plus belle», espérant créer une chicane. Zeus, refusant de choisir entre Athéna, Héra et Aphrodite, donne la tâche à Paris de Troie. Celui-ci se fait offrir un cadeau par chacune des déesses en échange de son vote.[9] Il choisit Aphrodite, car celle-ci lui promet l’amour de la plus belle femme de la terre. Lorsqu’il choisit Hélène de Troie, et l’enlève de son roi, la guerre de Troie est déclenchée.[10]
Aphrodite est aussi reconnue comme la gardienne de la mer. Non pas la déesse de celle-ci, comme l’est Poséidon. Elle est plutôt veilleuse, protectrice des marins et du flot répétitif des vagues, souvent associé aux mouvements  Elle est vue comme la gardienne de la mort et de la renaissance de la nature.[11] On lui associe donc le printemps, saison florale des amours et des naissances.
            Aphrodite est symbolisée par sa ceinture magique, qui lui donne ses dons. Grace à celle-ci, elle détient le pouvoir de donner, et même forcer, l’amour. Elle est aussi souvent représentée par le coquillage, rappel à sa naissance dans la mer.[12] Certains écrits supposent aussi qu’elle a voyagé dans la mer dans un coquillage, pour survivre aux vents marins et se rendre en Chypre. On lui accorde aussi la pomme, le miroir et beaucoup d’animaux et de plantes. Son animal principal est la colombe. Certains auteurs, dont Ginette Paris, voient en ses symboles plusieurs parties de la vie sexuelle : le dauphin représente le jeu et la séduction; le coquillage est délicat et rosé, s’ouvrant seulement lorsqu’il est en sécurité, tel l’organe sexuel féminin.[13]

3.  Rôle des déesses dans la sexualité
Héra et Aphrodite, parmi d’autres déesses grecques, représentent chacune un aspect différent de la féminité. Héra, comme mère et épouse, est la matrone, la protectrice du clan. Comme chez la louve ou l’ours, la mère est forte, passionnée et dévouée.
Face aux infidélités de son mari,  Héra agit avec jalousie et impulsivité, ce qui démontre le statut émotionnel inférieur qu’on attribue à la femme. Cette déesse représente parfaitement la femme grecque. Elle aime son mari, le soutient. On s’attend à elle qu’elle soit fidèle et présente, elle gère la vie de famille dans la maisonnée. Son rôle sexuel n’est lié qu’à la reproduction. On ne parle pas d’Héra comme femme, ayant des plaisirs charnels.
Aphrodite, est l’autre pôle de la femme : la charmeuse, l’intrigante, la joueuse, la truqueuse et la magnifique. Chaque fois qu’on parle d’elle, on parle de sa beauté, de son physique. Aphrodite représente l’objet inatteignable, l’inconnu et le mystère pour les auteurs des mythes, qui étaient tous des hommes. Les Grecs demandent de leurs femmes de satisfaire ces deux rôles, pour eux, dans la société : la matriarche et l’Autre, cette distraction qui ne sert qu’à leur plaisir.
La mythologie grecque, à cet égard, semble quelque peu dégradante pour les femmes, vu à la lumière de notre époque. Il faut savoir laisser vivre les mythes au jour où ils ont existés, et ne pas les transporter dans la réalité d’aujourd’hui. Les déesses et les dieux demeurent toujours une excellente manière de comprendre et d’expliquer la vie en Grèce ancienne, en plus d’être des histoires divertissantes et passionnantes pour le lecteur contemporain.


20 novembre 2015 - Cours Introduction à l'histoire de l'Antiquité





[1] GRAVES, Robert, Greek Myths, London, Penguin Books, 1984 (1981 et 1955), p.15
[2] ENCYCLOPEDIA BRITANNICA, «Hera : Greek Mythology», http://www.britannica.com/topic/Hera (consulté le 18 novembre 2015)
[3] GRAVES, Robert, Greek Myths, London, Penguin Books, 1984 (1981 et 1955), p.16
[4] GUTHRIE, W.K.C., The Greeks and their Gods, États-Unis, Methuen, 1962 (1950), p.66
[5] Voir Annexe I en page
[6] Voir Annexe II en page
[7] HATZITSINIDOU, Evangelica, «Hera and the Peacock», http://www.greek-gods.info/greek-gods/hera/myths/hera-peacock/ (consulté le 19 novembre 2015)
[8] PARIS, Ginette, Pagan meditations : The worlds of Aphrodite, Hestia and Artemis, trad. Du français par Gwendolyn Moore, Texas, Spring Publications, 1986, p.14

[9] Voir Annexe II en page
[10] OTTO, Walter F., The Homeric Gods, New York, Octagon Books, 1983 (1954), p.96
[11] OTTO, Walter F., The Homeric Gods, New York, Octagon Books, 1983 (1954), p.92
[12] Voir Annexe III en page
[13] PARIS, Ginette, Pagan meditations : The worlds of Aphrodite, Hestia and Artemis, trad. Du français par Gwendolyn Moore, Texas, Spring Publications, 1986, p.15