lundi 20 mai 2013

Analyse d'un conflit éthique - Les lieux d'injection supervisés


La guerre contre la drogue dure depuis sa découverte. Dès l'apparition d'une nouvelle substance, l'Homme l'abuse d'abord, puis la rend illégale, pour ensuite dépenser argent et énergie pour la détruire. Les drogues injectables, surtout l'héroïne, sont responsables pour beaucoup de problèmes dans la ville de Montréal. Les consommateurs doivent-ils être considérés comme criminels ou comme victimes de cette dépendance trop souvent hors de leur contrôle. Voyons l'enjeu des piqueries légales plus en profondeur d'abord, puis nous l'analyserons selon deux points de vue opposés: celui d'Immanuel Kant et celui de John Stuart Mill. 

La mise en place d'un lieu d'injection supervisé (LIS) à Montréal tarde depuis le début des années 2000. Les discussions, débats et analyses entre acteurs concernés ont lieu sans cesse, pourtant aucun de ces sites existent encore dans la métropole. La controverse autour de ce genre de mise en place est importante, et c'est pourquoi les gens du milieu de la santé sont en constante opposition avec les politiciens, policiers et autres. Le problème central? Les conséquences que pourraient apporter l'ouverture des LIS. Évidemment, ils permettraient la diminution des surdoses, de la violence, des maladies tel le VIH/SIDA et l'hépatite C. Ces sites aideraient aussi à entraver le réseau de trafiquants, ainsi qu'à réduire la criminalité, la prostitution et la pauvreté liés à la dépendance. Toutefois, certains argumentent que les conséquences néfastes de l'implantation de ces sites sont plus importantes que ses avantages. Les LIS risquent d'attirer plus de consommateurs dans les quartiers où ils se trouvent, puisque dans ces secteurs, il est plus difficile pour la police de reconnaître ceux qui utilisent dans les LIS, et ceux qui sont illégaux. Les opposants aux LIS ajoutent aussi que l'implantation de ces sites risque de rendre l'arrestation des revendeurs beaucoup plus difficile, en plus d'envoyer un message comme quoi la société appuie les drogués. Bref, la controverse tourne autour de l'opposition entre les gens qui veulent empêcher les abus liés aux drogues injectables, et ceux qui croient que les lieux d'injection supervisés ne sont pas la solution aux problèmes de drogue. Cet enjeu est d'ordre éthique puisqu'il concerne un débat de valeurs, qui essaye de déterminer ce qui est bien et ce qui est mal. Il est question de valeurs personnelles, face à plusieurs sujets qui font souvent naître de forts débats, tels la consommation et la vente/distribution de drogue, la pauvreté, la prostitution et la criminalité. Il s'agit de déterminer, en société, quelles valeurs sont partagés par la plus grande majorité des gens. C'est pourquoi cet enjeu est aussi politique, puisqu'il concerne un choix de société. Les notions de légalité et de légitimité sont remises en question, puisqu'en permettant légalement la consommation de drogue, on brise des lois bâties depuis longtemps. La philosophie politique étudie les conditions de possibilité de l'État et de ses structures fondamentales, donc de ses lois et ses institutions. 

Immanuel Kant voit la moralité d'une manière plus définie que la grande majorité des penseurs. Il s'agit d'un domaine géré par la Raison, faculté première permettant l'expérience humaine. Selon lui, l'Homme n'a qu'à suivre sa raison pour savoir ce qui est bien, ce qui ne paraît que bien, et ce qui est mal. La moralité d'une action ne dépend que des intentions qui la motivent. Pour savoir si une action est morale avant de la poser, il faut se fier aux devoirs, qui sont classés en deux catégories: les devoirs stricts et les larges. Les devoirs stricts concernent la maîtrise de soi et la justice envers autrui, donc ne pas se suicider et ne pas blesser autrui, par exemple. Les devoirs larges font référence au respect positif de soi-même et des autres, comme le développement de ses talents et être généreux envers quelqu'un de moins fortuné que soi. Pour le penseur rationaliste, il faut toujours agir en fonction des devoirs, et donc agir de telle sorte que chacun puisse vouloir que sa maxime devienne une loi universelle. Avant de poser une action dont on doute de la moralité, il faut se demander: si cette action devenait loi universelle, serait-ce un espace viable pour l'humanité? Selon Kant, pour agir de manière complètement libre, il faut agir par devoir. En suivant sa bonne volonté, et son sens du devoir, il est possible d'éviter de devenir prisonnier d'autres contraintes peu fiables, telles les émotions et les intérêts. 

D'un autre côté, John Stuart Mill, lui, considère le domaine de la moralité un sujet à gérer avec la sensibilité. La capacité des humains à ressentir le plaisir et le déplaisir serait ce qui déterminerait le mieux ce qui est bien, versus ce qui est mal. Alors que Kant détermine la moralité en dehors des cas particuliers, et en fait quelque chose de catégorique, Mill se base sur des impératifs hypothétiques, relatifs aux situations. Il explique que la moralité d'une action ne dépend que de ses conséquences, et donc de l'utilité de l'acte. Il définit donc le fondement de la morale comme étant la recherche du plus grand bonheur total et général. Ceci veut dire qu'une action peut être évalué selon plusieurs critères de calcul du plaisir; la durée, l'intensité, la fécondité, l'étendue, la pureté, la proximité et la certitude, qui détermineront de sa moralité. En évaluant la qualité du plaisir par ces critères, il est possible de déterminer l'utilité de l'action, par la qualité du plaisir qu'elle rapportera. 

La création de lieux d'injection supervisés sont une initiative appuyée surtout par les agences de santé, les regroupements médicaux et certains associations relatives à la toxicomanie. Il serait normal de croire que ce sont les personnes les mieux placées pour déterminer si les LIS sont plus nocifs que profitables pour un peuple. Pourtant, plusieurs autres acteurs croient pertinents de faire valoir leur opinion. Les policiers et les groupes de citoyens partagent généralement le même avis, celui du "pas-dans-ma-cour". Ils ne sont pas opposés à l'idée, et certains y sont même ouvert, mais pas si le LIS risque d'être implanté dans leur quartier. Les politiciens varient dans leur position, dépendant de leur parti respectif. Les partis en opposition auront des avis contraires sur tous les débats, pour des raisons trop souvent partisanes. La question des piqueries et de leur implantation sera, ou non, un sujet chaud dépendant du parti au pouvoir qui trouve la question de la drogue primordiale ou non.  Les acteurs du monde médical, on l'espère, ont comme priorité d'abord la santé de la société et sa sécurité mentale et physique. Il faut donc se demander si les autres acteurs ont cette même motivation, ou si leurs intérêts sont plutôt ailleurs. Pour Kant, l'implantation de piqueries serait un acte jugé immoral. Il faut appliquer l'impératif catégorique qui suppose qu'en cas de questionnement sur l'immoralité d'un acte il faut se demander si cette action, lorsque maximisée, risquerait d'entrainer la destruction de l'humanité. Kant est définitif dans son jugement de la moralité, et ne se penche pas sur chacun des cas particuliers. En évaluant seulement l'intention de cette action, et ne pesant aucunement les conséquences dans le calcul, ce genre de lieux est immoral: il est là pour que les drogués se piquent. Même s'il permet par la suite d'autres bonnes choses, sa fonction première est d'aider la consommation de drogue. Donc, pour Kant, ceci entraînerait la destruction de l'humanité et ne serait simplement pas une décision rationnelle à prendre pour une société. Pour Mill, c'est d'une toute autre manière qu'il faut voir ce conflit de devoirs. Lorsque l'on considère les conséquences d'une action, alors les piqueriez deviennent une solution intéressante au problème de la drogue. Ces LIS permettraient de diminuer le nombre de drogués infectés du VIH/SIDA et de l'hépatite C, d'entraver le réseau de trafiquants, ainsi que fournir de l'aide sociale aux pauvres et aux prostitués. Lorsqu'on analyse cette question controversé d'un point de vue utilitariste, ces piqueries deviennent alors un moyen de profiter à beaucoup de personnes qui en ont besoin. En calculant le plaisir (içi, on parle de l'aide donnée) qui proviendrait de ces services, on obtient une possibilité de bonheur général plus étendue que sans. Bien sur, il faut considérer le déplaisir que ces lieux provoqueraient pour les policiers,  ceux qui font leur argent en vendant de la drogue et ceux qui habitent le quartier. En faisant cette équation, on réalise que sauver des vies en évitant des infections mortelles ainsi que des surdose, est plus important que l'inconfort occasionné chez les citoyens, policiers et revendeurs. 

Selon moi, même si la philosophie de Kant est généralement très solide, dans ce cas-ci, Mill répond mieux au dilemme. N'ayant pas de position personnelle sur la question des piqueries légales, je trouve tout de même que Mill permet de justifier le raisonnement d'une manière spécifique au cas particulier étudié, au lieu de seulement appliquer des règles générales comme le fait Kant. Comportant autant d'avantages importants que de désavantages, ce sujet en reste un très controversé, pour les gens de gauche comme de droite. La philosophie morale de John Stuart Mill évalue selon les conséquences et l'utilité, et c'est pourquoi dans ce cas-ci, elle s'applique mieux. Les raisons qui nous pousseraient à bâtir ce genre de lieux sont évidentes, et c'est plutôt les répercussions qui nous inquiètent dans ce cas. Lorsque Kant s'arrête aux intentions, le questionnement semble trop court et incomplet. Avec une analyse de Mill, il est possible de continuer de se questionner sur les limites de la moralité de la situation, et cela permettrait de poursuivre le débat, de le résoudre et même de continuer d'utiliser la théorie du bonheur total et général pendant l'élaboration d'un plan de construction d'un LIS. 




SOURCES CONSULTÉES:

MYLES, Brian. Feu vert aux piqueries d'État, [En Ligne], http://www.ledevoir.com/non-classe/13081/feu-vert-aux-piqueries-d-etat (page consultée le 25 avril 2013)

ROCHE, Kelly. Injection sites a junkie's dream, [En Ligne], http://www.ottawasun.com/2012/04/12/injection-sites-a-junkies-dream (page consultée le 25 avril 2013)

ASSOCIATION DES RÉSIDENTS DU QUARTIER DE LA SANTÉ DE MONTRÉAL. [En Ligne ],http://www.arqsm.ca/Viedequartier/Salledesnouvelles/Projetdesitedinjectionsupervise.aspx (page consultée le 20 avril 2013)

CENTRE QUÉBÉCOIS DE LUTTE AUX DÉPENDANCES. L'héroïne, [En Ligne], http://www.cqld.ca/livre/fr/qc/13-heroine.htm (page consultée le 20 avril 2013)

VOIR. Des piqueries légales à Montréal? L'heure H, [En Ligne], http://voir.ca/societe/1999/03/11/des-piqueries-legales-a-montreal-lheure-h/ (page consultée le 25 avril 2013)


avril 2013

Analyse du "Léviathan" de Thomas Hobbes


Peut-on agir de manière rationnelle sans agir en fonction de ses intérêts individuels? 

Hobbes l'explique dans la troisième prémisse de l'argument étudié : "[…] il n'existe aucun moyen pour un homme de se mettre en sécurité aussi raisonnable que d'anticiper, c'est-à-dire de se rendre maître, par la force ou la ruse de la personne du plus grand nombre possibles d'hommes, […]"1 Il explique par cette argumentation que l'homme qui agit de manière charitable ou bienveillante envers un autre agit automatiquement de manière irrationnelle, puisque cet autre homme ne fera pas nécessairement ce même sacrifice en retour. Il ne faut donc se fier à aucun autre homme pour assurer que ses besoins soient comblés. Pouvant être utilisée comme un renforcement à la troisième, la deuxième prémisse donne une explication à celle-ci: Les ressources limitées dont les hommes se servent et leurs besoins et désirs communs les obligent à devenir ennemi dès qu'ils partagent un intérêt. Alors, il est évident que chaque homme utilisant sa raison doit toujours agir en fonction de ses intérêts individuels s'il désire devancer un autre homme ou simplement assurer sa sécurité.

Agir rationnellement en fonction de ses intérêts individuels, pour assouvir ses besoins et passions, se traduirait dans le dilemme du prisonnier par des aveux et une trahison des deux sujets. Pourtant, dans l'allégorie, on voit bien que c'est la coopération entre hommes qui permet d'obtenir la sentence la moins longue. Lorsqu'un homme comprend ce qu'est le dilemme du prisonnier, il devient alors possible de voir la rationalité dans la coopération. Agir de manière à satisfaire ses besoins individuels dans le but d'obtenir la meilleure solution pour soi-même, c'est rationnel. Mais lorsque, pour un instant, la satisfaction personnelle est mise de côté pour voir l'intérêt d'un groupe, on peut voir une solution encore plus profitable. Un homme, agissant de manière raisonnable, posera toutes ses actions dans le but de s'avantager, ou de se protéger lui-même. Donc, si la plus grande satisfaction vient d'une coopération, c'est cette action qui est la plus rationnelle. 

Prenons un exemple très représentatif de notre société actuelle. Un homme désire utiliser les transports en commun pour se déplacer quotidiennement. Comme le démontre le budget total de 1,3 milliard de dollars de la Société des Transports de Montréal en 2012 2, ces services publics coûtent très cher à financer. Cette facture est séparée entre les gouvernements, la Ville, ainsi que tous les utilisateurs (contribution de 46% envers le budget). Pour combler ce besoin individuel en ayant accès au transport, il faut payer un certain montant par mois. En payant uniquement pour son utilisation personnelle au système de transport, l'Homme agit de manière à satisfaire ses propres intérêts. Un partage des coûts, et des frais égaux pour tous les utilisateurs serait donc considéré comme une action qui va à l'encontre des intérêts individuels de chacun. Pourtant, en agissant de telle manière pour la collectivité, les revenus sont plus stables, le service donc meilleur et, à la longue, moins dispendieux à entretenir. Si payer plus mensuellement s'oppose aux intérêts personnels immédiats, c'est en fait plus rentable pour le bien-être et la sécurité à long terme de la collectivité que d'abandonner une partie de son confort personnel. 

1. HOBBES, Thomas. Leviathan
2. RADIO-CANADA. La CAM encore plus cher en 2013. http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Economie/2012/10/26/011-cam-hausse-part-usager.shtml


mars 2013